« Tu bosses dans le web, pourquoi tu fais une formation vélo?? »
À Le Rheu à Vélo, on a un petit atelier. Tous ceux qui y passent et y bossent sont bénévoles. Certain.e.s aiment seulement régler leur bécane et boire un café, la plupart sont plus ou moins bricoleurs et se débrouillent pour réparer tout ce qui se présentent à eux. Ou pas. Étant un des rares bénévoles de l’atelier à se tourner vers l’accueil et la présentation de l’asso, je me fais souvent grignoter tout mon temps sur cette tâche sans pouvoir me poser une demi-heure pour me faire une réparation. Tout seul, avec le matos, mes mains et ma tête.
C’est l’une des raisons pour lesquelles je me suis décidé à faire une formation avec le réseau national des ateliers vélo associatifs, j’ai nommé L’Heureux Cyclage (et pas Le Rheu Cyclage!). Pour celleux qui ne le connaissent pas, je vous invite à découvrir ce réseau et leurs actions, militant vélorutionnaire et bon enfant. Après moults péripéties, possibles annulations de la formation et indisponibilités de ma part, je me retrouve finalement le matin du 1er octobre 2019 à 9h dans l’atelier de Roulement à Bill à Tours.
La première matinée
Le café est chaud, le beurre prêt à s’étaler entre la baguette tradition et la confiture de myrtilles. Ludo, que j’ai déjà eu au téléphone à plusieurs reprises, m’accueille chaleureusement. C’est l’un des deux salariés de l’Heureux Cyclage, basé à Grenoble, et l’un de nos formateurs pour cette session. « Enfin c’est pas moi le référent mécanique ici » se défendra-t-il plusieurs fois dans la semaine. Il n’empêche, il a rendu cette formation possible, et il touche plutôt très bien sa « Bill » en mécanique malgré sa modestie. Je l’ai oublié à ce moment, mais Ludo a grandi à Iffendic à 30 bornes du Rheu, alors forcément un atelier dans le coin, ça lui fait plaisr.
Derrière, je reconnais Colline. Bon à ce moment son prénom de m’est pas encore aussi évident. Elle aussi plisse les yeux, genre « on-se-connait-non? ». Elle est salariée à la Cyclofficine de Paris où j’allais y a pas si longtemps. Un atelier pas si grand en surface (ca reste Paname), énorme dans l’activité qui s’y passe, toujours bondé. C’est donc elle super formatrice qui sera notre référente mécanique. Je la salue, et rencontre ensuite les autres formés. Véro, douce parisienne un peu dans la lune de l’atelier La Cyclette créé par la Petite Rockette. Joseph, néo-aveyronnais qui dénotte dans une région où la plupart des autres cyclistes ne circulent que le dimanche en tenue de course. Apolline et Yohan, les deux clermontois rieurs qui se chamaillent comme un vieux couple. Et enfin Juanadil, discret et talentueux lyonnais dont j’ai mis les premières heures à saisir le nom arabo-espagnol 🙂 .
La matinée consiste surtout à faire les présentations, redécouvrir le programme et se fixer les objectifs. On fait des jeux pour apprendre à se connaître. « Place toi sur la carte. Présente ton atelier ». « Place toi sur la carte. Raconte-nous ta première fois à vélo ». « Place toi sur la carte. Raconte-nous ta pire galère de freins ». La carte c’est la cour intérieure, le nord vers la cave. Ça déconne bien. On fait ensuite une partie de Bingo pour passer en revue l’intégralité des systèmes de freins qu’on étudiera dans la semaine. Apprendre par le jeu plutôt que de s’ennuyer devant un catalogue à étudier : 20/20 en pédagogie jusqu’ici. Mon niveau actuel? Je me débrouille avec les freins classiques (étriers, cantilevers, v-brakes) et pour le reste (disques, hydrauliques, rétropédalage, tambours, etc), zéro ! Objectif : maîtriser les freins classiques, et avoir une connaissance basique des autres. L’objectif sera globalement atteint.
La formation
La méthode pédagogique utilisée est dite « ternaire » : présentation du système de freins par l’équipe formatrice ; expérimentation et travail par binôme (le temps le plus long) ; éventuellement un point en fin de demi-journée, mais nous avions plutôt tendance à solliciter les formateurs quand nous avions un doute ou qu’une question nous venait, rendant ce point finalement caduque. Un temps solo était également réservé en fin de journée, pour revoir et approfondir le système que nous désirions. Ou se reposer. Un temps plus libre en somme. En fait, la liberté étant déjà grande le reste de la journée – les binômes se faisant et se défaisant librement et tranquillement au gré des intérêts et motivations de chacun.e – la seule différence est le programme qui était ici inexistant.
Les deux premiers jours ont été alloués à (re)voir les systèmes de freins classiques : étriers à tirage central, étriers à tirage latéral, cantilever et V-Brakes. C’est super pour moi, j’avais vraiment besoin de perfectionner ça, d’engranger rapidement des infos et bons conseils. On se met par deux sur un frein, on discute des actions à faire, on se passe les outils en faisant attention d’alterner régulièrement entre cellui (écriture inclusive) qui touche et cellui (écriture inclusive) qui regarde. C’est bienveillant, sympa et formateur.
Nous sommes au tout premier jour. Je travaille avec Joseph sur un système un peu original d’étrier à tirage central d’un très beau vélo assez ancien. Il y a beaucoup de jeu dans l’étrier, la vis-pivot ne semble pas assez serrée. Bizarre pour un vieux vélo dans son jus. Je propose à Joseph de le resserrer, il me répond que ce jeu n’est pas si grave. Tête de mule, je fais fi de son conseil, désireux de corriger le terrible défaut et de le contredire gentiment. Je m’en mordrai les doigts.
Quand le destin s’en mêle
En serrant plus avant, j’ai cassé la vis dans son tasseau. Même pas un de ces tasseaux de VTT soudé au cadre et qui peuvent, avec de la peine tout de même, être remplacés. Non, celui-là fait partie intégrante du cadre et propre à ce système de freins peu répandu. La tête de la vis est dans ma main, le reste est dedans. Je me prend la tête dans les mains, riant un peu jaune pendant que la nouvelle se répand et que les rires me répondent, mélanges de moquerie gentillette et de légère compassion.
Le vélo en question est de la marque Petit Breton. A breton contre breton, il s’agit de savoir lequel aura la tête la plus dure des deux. On commence à échanger avec quelques-uns, notamment Juan-Adil qui me sera d’une aide précieuse. Pendant ce temps, Joseph commence à s’intéresser à d’autres vélos et me laisse tout seul. Il m’avait prévenu en même temps. Sans rancune mec :). La réflexion est « longue » pour savoir s’il faut simplement percer ou carrément re-tarauder. Deux jours plus tard, le vélo est de nouveau « sur roues », à mon grand soulagement.
L’atelier
La formation se passe dans le local de l’atelier Roulement à Bill. Un atelier entièrement bénévole de 200 adhérents qui fonctionne avec seulement 5760€ de budget annuel malgré leur énoooorme local. Très militant, on y voit des affiches partout comme dans de nombreux ateliers : conseils mécaniques, événements de L’Heureux Cyclage, Vélorution, féminisme, anarchisme. Avec les rencontres avec les formés et les adhérents, vous comprendrez que ce fut une semaine et un cadre très inspirant 🙂
Nous sommes allés visiter l’autre atelier associatif de Tours : l’Atelier CC37. Créé il y a 27 ans après la construction d’un pont « interdit aux cyclistes », l’asso emploie 2 salariés à plein temps. C’est historiquement une asso de lobbying, mais leur activité d’atelier a explosé suite à leur déménagement il y a 2 ans. Et pour cause : l’atelier est grand, propre et sur-équipé. Un régal pour les fans de mécaniques j’en suis sûr. Ils nous ont présenté leur bac de dégraissage avec brosse et pompe pour réutiliser en continu le produit dégraissant. Financement de l’ADEME. Comme quoi si on demande pas… Belle découverte, en ce qui me concerne j’aime mieux l’action, l’esprit et l’ambiance d’un atelier comme Roulement à Bill.
Climat vélo à Tours
La circulation est dense et désagréable pour les vélos. Les automobilistes sont nerveux, pousses-au-cul. Si ce n’était pour les modèles des bagnoles et les piétons sur leurs smartphones, je me croirais revenu 20 ans en arrière. Genre Rennes y a 20 ans je pense. On aura 2 chutes en 2 sorties groupées tout de même ! Je suis hébergé à Tours-Nord alors que l’atelier est proche des rives du Cher, je traverse donc toute la ville via l’avenue Gramont avec le vélo qui m’a été prêté. La piste cyclable est étroite lorsqu’elle existe, les nombreux travaux ne proposent pas d’alternative. Lorsque les rails du tram empruntent l’avenue sur une portion, la piste cyclable s’arrête et les panneaux interdisent au vélo d’emprunter les rails. La plupart des cyclistes sont donc sur le trottoir, d’autres comme moi trouvent cette règle stupide et prennent quand même les rails, à nos risques et périls.
Jacques et Annaëlle, mes hôtes, me disent que la ville de Tours est pourtant assez fière de ses performances cyclables, entre la Loire à Vélo et ses (parait-il) 200km de (mauvaises) pistes cyclables, ce qui en ferait (parait-il) l’une des villes les plus avancées de France. Pourtant lors du baromètre 2017 des villes cyclables de la FUB, Tours a obtenu une assez mauvaise note. Ils me parlent aussi du « Monsieur Vélo » de la ville de Tours. Le mec a buzzé il y a plusieurs mois pour avoir poussé un coup de gueule et fermé son compte Twitter. La cible de son ire ? Les cyclistes qui lui remontent les (nombreux) défauts de la circulation cyclable dans la ville. Ces ingrats.
Bilan
Malgré l’émulation et la motivation, et sûrement à cause de ça, la semaine a été tout à fait épuisante. Mais que c’était bon ! Une bonne dose d’inspiration et de motivation. On s’est bien sûr promis de se revoir aux prochains événements comme les Journées Nationales de l’Heureux Cyclage ou la Vélorution Universelle. A suivre donc, mais j’ai bien l’intention d’en refaire des formations comme celle-là.
Arthur